Le mariage des enfants au Cameroun : perspectives d’une militante
Dans le cadre de la campagne « Ma vie à 15 ans » (#MyLifeAt15), nous demandons aux membres de Filles, Pas Epouses de partager leurs propres aspirations à l’âge de 15 ans, leur parcours d’activistes, et les mesures à prendre pour mettre fin au mariage des enfants dans leur pays.
Aujourd’hui, nous interviewons Sikè, militante féministe de longue date et fondatrice de l’Association de Lutte contre les Violences Faites aux Femmes qui opère au Cameroun.
Que rêviez-vous faire à 15 ans?
A l’âge de 15 ans, je voulais être une assistante sociale. Je pensais aux études, pas au mariage.
J’ai reçu deux types d’éducation. Une qui m’a permis d’aller à l’école. Une autre qui me préparait au mariage. Le week-end il fallait que je fasse la cuisine, que je repasse les habits de mon père, que je nettoie la maison. Pour ma famille, c’était une éducation indispensable qui me permettrait de bien traiter mes enfants et mon mari. Je m’en rends compte maintenant mais à l’époque, je n’en étais pas consciente. C’était normal pour moi.
En quelque sorte, j’ai pu réaliser mon rêve d’assistante sociale. Je ne fais pas des interventions à proprement parler, mais je suis à l’écoute des gens et je les aide.
Sikè à l’âge 12 ans avec ses 2 frères le jour de leur baptême.
Pourquoi le mariage précoce a–t-il lieu au Cameroun? Quelles sont les principaux facteurs ?
D’après l’UNICEF, 38% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans au Cameroun. L’Association de Lutte contre les Violences Faites aux Femmes a mené une étude en partenariat avec l’IWHC (la coalition internationale pour la santé des femmes) sur les mariages précoces et forcés au Cameroun.
Nous avons un problème avec les valeurs patriarcales dans notre société. Nous avons mené une étude sur le mariage précoce avec l’IWHC et une chose est sûre : le destin de la fille au Cameroun reste le mariage et la reproduction. Une fille est appelée à être la femme de son mari et à faire des enfants.
La pauvreté est bien entendu un facteur, mais la pauvreté ne tombe pas du ciel. Les programmes d’ajustement structurel que notre pays a dû adopter ont un impact sur le pouvoir d’achat des parents. Lorsqu’ils doivent choisir entre l’éducation de leur fils ou de leur fille, ils choisissent le garçon car il est appelé à devenir chef de famille. Il aura besoin de moyens pour entretenir les siens.
Les lois discriminatoires soutiennent également la pratique des mariages précoces. La loi autorise les filles à se marier dès l’âge de 15 ans au Cameroun alors que l’âge est à 18 ans pour les garçons.
Enfin, il y a le problème de l’enregistrement des mariages. La plupart des mariages précoces dont on parle sont en fait des concubinages. Si on regarde seulement les registres officiels, on peut croire qu’il n’y a pas de mariages précoces au Cameroun. Beaucoup ont lieu de manière officieuse, ce sont des mariages traditionnels ou religieux, ils ne passent pas devant le maire. Le problème a beau exister, s’il n’est pas enregistré, il devient invisible.
Comment êtes-vous devenue une militante contre le mariage des enfants ?
J’ai été envoyée en France par mes parents dans les années 1970s-80s. Mon séjour et mes études ont étés pris en charge par mes parents. J’y ai rencontré des féministes qui ont eu un impact énorme sur mes sensibilités politiques et sociales. Mon rêve, c’était de retourner au Cameroun et militer pour la cause de mes sœurs en Afrique.
Quand je suis rentrée, j’ai commencé à militer pour la condition féminine et créé l’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes (ALVF). C’est en parcourant la région de l’Extrême-Nord en 1987 que j’ai été confrontée aux mariages précoces et forcés et aux mutilations génitales pour la première fois.
Nous avons mis en place une antenne de l’ALVF à Maroua dans la région et à chaque réunion de femmes, celles-ci dénonçaient la pratique du mariage précoce. C’était l’un des sujets qui revenaient en permanence. Elles n’en voulaient plus. Lorsque nous avons ouvert un centre d’écoute, nous avons accueilli nombre de jeunes filles qui avaient été répudiées par leur mari et avaient besoin d’aide non seulement pour prendre en charge leurs enfants mais aussi pour reprendre les études.
Je me souviens d’une jeune fille avec deux enfants, qui était complètement analphabète. Ça m’a vraiment marqué. Depuis, je continue la lutte contre le mariage précoce.
Ma mère a connu un mariage arrangé et précoce. Il faut dire que sa génération se mariait facilement entre 14 ans 16 ans. Malheureusement, je n’ai jamais pu en parler avec elle. Elle est décédée en 1997, peu de temps après mon départ pour Maroua.
Quelle mesure les gouvernements doivent-ils adopter en priorité pour mettre fin au mariage des enfants ?
D’abord il faut que le gouvernement adopte un plan d’action spécifique contre le mariage précoce avec un budget pour le mettre en œuvre – sans budget, ça n’aura pas d’impact.
Ensuite, il faut faire adopter un texte de loi pour mettre fin aux violences sexuelles et sexistes, y compris les pratiques néfastes comme le mariage des enfants, et soutenir les victimes. Le problème c’est que notre parlement est composé des trois quarts d’hommes ce qui rend l’adoption d’un tel projet de loi assez difficile.
Enfin, l’Etat n’a pas de personnel spécialisé concernant les questions touchant les femmes et les filles. Les fonctionnaires ne sont pas militants ni ne connaissent bien la situation sur le terrain. Ils travaillent sur les problématiques liées aux femmes comme ils travaillent sur n’importe quel autre sujet. Il nous faut du personnel formé et sensibilisé aux questions de genre.
Au-delà du gouvernement, les agences des Nations Unies ont un rôle important à jouer notamment en impliquant davantage la société civile et les associations de femmes.
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